Un esprit qui s'égare est un esprit malheureux - ou pourquoi méditer?
- olivierdubey
- 10 nov. 2022
- 3 min de lecture
A Wandering Mind is an Unhappy Mind.
C'est le titre aguicheur d'une très sérieuse étude scientifique publiée en 2010 par Matthew Killingsworth et Daniel Gilbert de l'Université d'Harvard dans la prestigieuse revue Science (1). Un titre étonnant, sachant que les déclarations flamboyantes de ce type attirent généralement les foudres de la communauté scientifique pour leur manque de rigueur et d'intégrité. Et pourtant, cette fois-ci, c'est la conclusion directe et implacable des données publiées par les auteurs.
Les bases neuroscientifiques de l'esprit vagabond - ou "esprit-singe" comme il est tendrement imagé dans les traditions contemplatives orientales - se situent dans un circuit neuronal complexe appelé mode de fonctionnement par défaut, ou default mode network (DMN). Comme son nom l'indique, ce circuit est activé lorsque l'attention n'est pas occupée par une tâche particulière. Ses fonctions exactes ne sont encore que partiellement comprises, mais son activation corrèle avec la production plus ou moins continue de pensées en lien avec nos mémoires passées, notre état intérieur ou encore nos relations avec les autres. Pour résumer et simplifier à outrance, c'est un peu l'autel du Soi; un état de conscience basal permettant la survie résiduelle de l'égo en attendant la prochaine stimulation que notre cerveau jugera digne d'intérêt. Comme le disait Aristote, et on le constate jusque dans notre esprit, Horror vacui : la Nature abhorre le vide !
Afin d'étudier les conséquences émotionnelles de l'activation du DMN au quotidien, Killingsworth et Gilbert ont choisi de développer et distribuer une application téléphonique au principe simple : à des moments aléatoires de la journée, une notification invite des milliers de participants à décrire leur état émotionnel, les pensées du moment, ainsi que les tâches auxquelles ils sont en train de s'adonner. Ces données ont constitué la gigantesque base de données qui a permis aux auteurs d'aboutir à trois conclusions:
Le vagabondage de l'esprit est monnaie courante : dans la moitié des cas, les participants étaient perdus dans leurs pensées au moment où ils recevaient leur notification. Plus surprenant peut-être, la nature de l'activité pratiquée semblait n'avoir que peu d'impact sur le degré de présence des sondés, ni sur le caractère agréable ou désagréable des pensées vers lesquelles leurs esprits s'évadaient.
Les participants étaient moins heureux lorsque leur esprit s'égarait, et ce quelle que soit l'activité pratiquée. Même lorsque les pensées s'orientaient vers des sujets agréables, il ne se sentaient pas mieux que lorsqu'ils étaient pleinement présent à leur tâche, alors que des pensées neutres ou négatives impactait négativement leur état émotionnel.
Le degré de présence est un meilleur prédicteur au bien-être émotionnel que la nature de la tâche pratiquée.
Ces résultats sont surprenants car contre-intuitifs : le fait d'être pleinement conscient du moment présent a plus d'influence sur notre bien-être émotionnel que la nature agréable ou désagréable de l'activité, ou encore que le caractère positif ou négatif de nos pensées égarées.
Et c'est là tout l'intérêt de la méditation de pleine conscience : par une pratique régulière, nous nous entraînons progressivement à reconnaître les moments où l'esprit s'égare et à le ramener délicatement, encore et encore, au moment présent. Neurologiquement, cela se traduit par une atténuation du mode de fonctionnement par défaut chez les méditants expérimentés (2), facilitant au quotidien la présence à soi et à son environnement.
J'ose à peine l'écrire tant les causes du bien-être sont éminemment multifactorielles, mais méditer, la science le montre, c'est cultiver son bonheur. Le jardin de Candide était- définitivement intérieur (3).
Références :
1) Killingsworth and Gilbert. A wandering mind is an unhappy mind. Science. 2010 Nov 12;330(6006):932.
2) Brewer JA et al. Meditation experience is associated with differences in default mode network activity and connectivity. Proc Natl Acad Sci U S A. 2011 Dec 13;108(50):20254-9.
3) "Il faut cultiver son jardin" - Candide, Voltaire.
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